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Travail hybride : le FM est-il prêt ?

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La crise sanitaire a accéléré le développement de nouvelles organisations du travail. Partout, il est désormais question de travail hybride, mêlant présentiel et distanciel. Une évolution non sans conséquence sur les bureaux et leur exploitation. Moins de mètres carrés, mais des mètres carrés mieux utilisés, plus flexibles… Les FMers pourraient bien ici avoir une carte à jouer, à condition de faire évoluer leurs offres. Décryptage.

Depuis le début de la pandémie, les acteurs du FM sont mobilisés. Ils travaillent chaque jour main dans la main avec leurs clients pour adapter les services et les ressources à leurs besoins. « Nous avons joué un rôle clé dans la sécurisation des collaborateurs via le renforcement des méthodes de désinfection, la mise en place d’actions d’aménagements et de réallocation des espaces et des mesures barrières », rappelle Benoît Crouzatier, directeur d’Atalian Facilities. Malgré les nombreux bouleversements qui lui sont imputables, la crise sanitaire aura eu quelques effets positifs… « Les intervenants des services aux occupants ont été présents et au rendez-vous durant les premiers mois de la crise. Cela leur a permis de bénéficier d’une visibilité », constate Xavier Baron, sociologue et intervenant chercheur. Un rôle qui continue encore aujourd’hui d’évoluer, au gré des modifications et entrées en vigueur des mesures sanitaires et qui pourrait, à terme, se pérenniser. « La gestion de la sécurité sanitaire représente un service émergent qui devrait continuer à se développer », indique Frédéric Goupil de Bouillé, directeur l’environnement de travail chez SNCF Immobilier.

S’ils ont su répondre présents dans l’urgence, les acteurs du FM doivent désormais engager une réflexion plus profonde sur leur résilience, leur modèle et leur proposition de valeur. Car, si la crise n’est pas finie, certaines de ses conséquences sur les organisations du travail sont déjà bien connues et nul doute que les espaces de travail, comme les services, seront impactés. On apprenait par exemple qu’en un an, 20 000 accords de télétravail ont été signés accordant deux ou trois jours de travail à distance aux salariés. La pratique généralisée du télétravail réinterroge la relation entre les stratégies des entreprises et la place qu’elles réserveront aux espaces de travail dans l’après-Covid. Plusieurs entreprises envisagent de réduire leurs surfaces afin de rationaliser les coûts. « Les salariés étant moins présents dans les bâtiments tertiaires, elles souhaitent faire des économies sur les surfaces de bureaux », confirme Xavier Baron. Par ailleurs, le flex office, resté marginal jusqu’à présent, séduit de plus en plus. Ainsi, 55 % des entreprises françaises envisageraient d’abandonner le traditionnel bureau attitré au profit de postes de travail partagés. Si les entreprises n’auront certainement pas besoin d’autant de mètres carrés qu’avant, elles souhaitent en revanche pouvoir bénéficier de mètres carrés mieux utilisés, plus flexibles, suivant les croissances et les aléas et permettant de favoriser la rencontre et les échanges.

Moins de mètres carrés, plus de services ?

 

Les acteurs du facility management en ont conscience. Ils entendent faire évoluer leurs offres pour se positionner et accompagner cette transition. À commencer par la restauration collective, dont les contrats ont été très impactés ces derniers mois. « Aujourd’hui, le modèle économique de la restauration d’entreprise nous semble obsolète car les contrats sont pour la plupart au forfait ou en fonction de la fréquentation. Nous réfléchissons avec nos partenaires pour faire évoluer ce business model », renseigne Emmanuel Deparis, directeur du cadre de vie chez Axa et président du club FM de l’Arseg. Pour répondre à ce besoin, Sodexo Entreprise a d’ores et déjà diversifié ses offres de restauration. « En complément des restaurants inter-entreprises, nous pouvons proposer du click and collect, des frigos connectés délivrant des produits frais, la livraison de repas à domicile ou sur le lieu de travail, etc. », détaille Laurent Rault, directeur du développement chez Sodexo Entreprises. Avant de préciser : « À terme, le nombre de RIE ou leur taille diminuera probablement et les surfaces dédiées à la prise de repas seront plus polyvalentes. On peut par exemple imaginer une zone de restauration se transformer en espace de coworking en dehors des heures de repas ».

Proposer plus de services, plus personnalisés, plus conviviaux pour, in fine, donner envie aux salariés de revenir au bureau. Tel est l’enjeu pour les directions de l’environnement de travail. Et pour les y aider, elles comptent sur les FMers. « Aujourd’hui, nous attendons que les FMers passent d’une maîtrise technique à de l’innovation servicielle. Cela implique de développer de nouveaux services, des outils digitaux mais également d’apporter encore plus de convivialité à travers les services », indique Emmanuel Deparis. Une demande entendue par certains FMers… « Nous maîtrisons parfaitement les besoins des bâtiments, des utilisateurs et nous savons les flexibiliser et les digitaliser. Il est désormais indispensable de faire évoluer notre activité car nos prestations classiques vont être diminuées dans la même proportion que la surface des bureaux. À l’avenir, nous aurons probablement moins de mètres carrés à gérer, mais plus d’intensité servicielle au m² », estime David Ernest, directeur du développement et de l’innovation chez Vinci Facilities. Par ailleurs, la mise en place de nouvelles organisations de travail pourrait générer un besoin de services complémentaires, plus individualisés et digitalisés. « Par exemple, la mise en place du flex office impose de gérer les casiers de chaque salarié ou la désinfection et le nettoyage de chaque poste de travail », illustre Dominique Bisaga, directrice générale de Samsic. De même, l’accueil doit s’adapter à la mobilité des salariés. Ces derniers sont aujourd’hui plus enclins à travailler et accueillir des visiteurs dans les différents bâtiments de leur entreprise. « Il faut donc un service d’accueil qui soit entièrement digitalisé pour être capable de gérer, pour chaque collaborateur, la réservation de salles de réunion, de places de parking, etc. », indique Frédéric Goupil de Bouillé. 

Des services jusqu’au domicile ?

 

Et qui dit digitalisation des services, dit expérience « sans couture ». Si jusqu’à présent, il s’agissait pour les directions de l’environnement de travail d’offrir une expérience utilisateur sur le lieu de travail, demain, un DET ou un salarié pourra tout à fait faire la demande de bénéficier de cette même expérience utilisateur au domicile. Selon une étude de Génie des Lieux, 54 % des professionnels interrogés estiment d’ailleurs que proposer des services et équipements au domicile fera partie des incontournables des entreprises dans le futur. Le changement de paradigme semble en tout cas déjà faire son chemin du côté des donneurs d’ordres… Pour Frédéric Goupil de Bouillé, la tendance n’est plus d’acheter un service mais « un parcours serviciel qui s’accompagne d’une digitalisation de ces services. Nous demandons aux FMers de ne plus concevoir le FM comme un assemblage de différents services ». Côté FMers, Dominique Bisaga, de Samsic, assure dans tous les cas que « si un employeur souhaite délivrer des services au domicile de ses salariés, il ne sera pas possible d’envoyer une personne différente pour chaque service ». Le prestataire pense d’ailleurs déjà à des offres adaptées aux nouveaux environnements de travail des salariés. « Il peut s’agir d’installer des postes de travail (bureau, chaise, matériel informatique) chez des collaborateurs, livrer des repas, délivrer des services de conciergerie ou de bien-être, etc. », détaille Dominique Bisaga. Eric Lefiot, président du Sypemi assure également pour sa part réfléchir à la question. « Nous menons actuellement des réflexions sur cette notion de services diffus, afin de savoir si nous devons aller jusqu’au domicile des salariés ou plutôt créer des lieux de services regroupés ».

Plusieurs réflexions sont également en cours concernant la mobilité des salariés. « Certains ont été freinés par le fait de devoir prendre des transports en commun bondés en pleine pandémie. Les employeurs ont pourtant fait beaucoup d’efforts pour assurer la sécurité sanitaire sur le lieu de travail mais personne n’avait anticipé la question de la mobilité, ni proposé de solutions alternatives. Nous menons actuellement des réflexions sur ce sujet pour proposer des offres complémentaires », explique David Ernest.

Une part de variable face à l’incertitude

 

Avec la montée du travail hybride, il va donc désormais falloir jongler entre salariés présents sur site et salariés en télétravail. Des pics et des baisses de fréquentation sur les lieux de travail sont à anticiper et devraient inévitablement se répercuter sur les prestations de services. Les activités de maintenance technique devraient par exemple voir leur modèle évoluer, en lien avec la baisse de fréquentation des sites. « Nous serons probablement amenés à repenser nos modèles, en intégrant notamment le taux d’occupation des immeubles. La tendance s’oriente davantage vers un caractère forfaitaire assorti d’une part de variabilité, avec par exemple des équipes plus mobiles qui interviendront davantage en curatif sur les équipements non stratégiques », relate Eric Lefiot. Chez Vinci Facilities, cette variabilité se traduit même déjà dans certaines offres. « Toutes nos offres comprennent désormais un volet variabilité en fonction, entre autres, du taux d’occupation de l’immeuble. Nous essayons d’identifier les services, installations techniques et espaces pouvant être variabilisés », explique David Ernest. Par exemple, lorsqu’un étage n’est pas occupé, les prestations de nettoyage pourront être diminuées en conséquence. Même constat du côté de la restauration : « quelques clients réfléchissent à basculer sur une facturation des services à la carte et que nous flexibilisons davantage les coûts », note Laurent Rault de Sodexo Entreprises.

Un maitre mot : la flexibilité

 

Entre les lignes, on devine un besoin criant de flexibilité. Besoin qui pourrait bien, demain, devenir un critère déterminant lors d’un appel d’offres (voir aussi l’article page 64). « Ce qui permettra à un FMer de faire la différence est l’agilité qu’il sera capable de déployer », estime Emmanuel Deparis. À titre d’exemple, la direction de l’environnement de travail de SNCF Immobilier travaille actuellement sur la flexibilisation de ses lieux de travail et des services associés. « Ce projet concerne les services que nous allons dispenser aux collaborateurs au sein de l’entreprise mais également chez eux », précise Frédéric Goupil de Bouillé. Objectif : bâtir une offre de services la plus globale possible pour un bâtiment. « Cela implique de travailler avec des prestataires capables de fournir les espaces de travail, de gérer leurs aménagements et leurs services », note Frédéric Goupil de Bouillé. La direction de l’environnement de travail souhaite lancer les premiers pilotes d’ici la fin de l’année. « Nous sommes actuellement en discussion avec des FMers, des coworkers, des foncières et des start-ups. Mais si nous ne trouvons pas de partenaires capables de répondre à nos besoins, nous gérerons cette partie en interne », affirme ­Frédéric Goupil de Bouillé.

Les donneurs d’ordres veulent également se prémunir d’éventuelles nouvelles pandémies. Pour répondre à ces attentes, certains FMers, comme Vinci Facilities, ont intégré ce risque à leur contrat. « Nous proposons de nouvelles offres avec notamment une clause pandémie qui prévoit un mode dégradé de nos prestations et installations, c’est-à-dire un service minimum, à déployer en cas de pandémie », indique David Ernest. Mais, selon Éric Lefiot, cette flexibilité dans la contractualisation doit rester raisonnable « pour des raisons d’organisation mais aussi pour maintenir une garantie sociale de l’emploi à nos collaborateurs et pour que le niveau de qualité persiste ». « Il faut aussi noter que cette agilité n’est pas toujours compatible avec certains cadres juridiques et réglementaires des métiers délivrant des services », enchérit Dominique Bisaga. Dans ce contexte, tout l’enjeu est de bâtir une relation partenariale entre donneur d’ordres et FMer. « Un lien de confiance d’autant plus important en temps de crise, lorsqu’il est nécessaire de réagir rapidement, de faire évoluer les contrats en permanence et de ne pas rester figé », souligne Emmanuel Deparis.

Dominique Bisaga, Samsic
« Si un employeur souhaite délivrer des services au domicile de ses salariés, il ne sera pas possible d’envoyer une personne différente pour chaque service »

Frédéric Goupil de Bouillé, SNCF Immobilier
« La gestion de la sécurité sanitaire représente un service émergent qui devrait continuer à se développer »

David Ernest, Vinci Facilities
« Nos prestations classiques vont être diminuées dans la même proportion que la surface des bureaux. À l’avenir, nous aurons probablement moins de mètres carrés à gérer, mais plus d’intensité servicielle au m² »

Benoît Crouzatier, Atalian Facilities
« Nous avons joué un rôle clé dans la sécurisation des collaborateurs via le renforcement des méthodes de désinfection, la mise en place d’actions d’aménagements et de réallocation des espaces et des mesures barrières »

Emmanuel Deparis, Axa
« Nous attendons que les FMers passent d’une maîtrise technique à de l’innovation servicielle. Cela implique de développer de nouveaux services, des outils digitaux mais également d’apporter encore plus de convivialité à travers les services »

Xavier Baron, CRDIA
« Les salariés étant moins présents dans les bâtiments tertiaires, les entreprises souhaitent faire des économies sur les surfaces de bureaux »

Trois questions à… Frédéric Patot, directeur général de Nexity@work

« Il y aura davantage besoin de services partagés et globaux »

1. Quelles pourraient être les conséquences de la crise sanitaire sur l’immobilier de bureau ?

La crise devrait accélérer la tendance des immeubles de bureau en multi-occupation. La réduction attendue des surfaces dans les bureaux fera que les entreprises auront moins tendance à prendre un site dans son intégralité. Les immeubles de bureaux proposeront plus d’espaces hybrides, avec des salles de réunions et des bureaux en partie privative et des parties communes, partagées entre les différents utilisateurs du site mais également ouvertes vers l’extérieur.

2. Cette évolution vers une multi-occupation pourrait-t-elle avoir un impact à terme sur l’exploitation des ­bâtiments et des services associés ?

Avec le développement des immeubles en multi-occupation et hybrides, il y aura davantage besoin de services partagés et globaux, associés à un immeuble et non plus à une entreprise. Ces services doivent être pensés dans la continuité de leur design et conception. Dans le contexte actuel, créer des lieux d’hospitalité devient également un enjeu clé. Il est important de valoriser les différents services délivrés dans les espaces de travail tels que l’accueil, la conciergerie ou encore la propreté.

3. Concrètement, comment les métiers de l’immobilier peuvent s’adapter pour répondre à ce besoin d’offre globale ?

Nous devons aller au-delà de notre métier de gestionnaire immobilier en endossant aussi le rôle d’opérateur de services afin d’être capable de répondre à la fois aux attentes des propriétaires et locataires mais également des utilisateurs et des visiteurs. Nexity a lancé en juillet dernier Nexity@work, structure qui intègre la conception, l’aménagement et l’animation des espaces de travail. Avec cette plateforme de services immobiliers, nous réunissons plusieurs métiers complémentaires, comme l’assistance à maitrise d’ouvrage, le property management et la gestion des services aux occupants. Ces derniers doivent être aujourd’hui ­abordés de manière indissociée.

De l’opérationnel… au conseil

Certains FMers sortent aussi de leur périmètre classique pour endosser, en plus de leur expertise technique, un rôle de conseil. Un besoin qui se fait de plus en plus ressentir du côté des donneurs d’ordres. « Il est aujourd’hui important que nous puissions nous reposer sur l’expertise de nos prestataires, notamment d’un point de vue réglementaire. Ils ne doivent plus uniquement se baser sur l’exécution des contrats mais également apporter du conseil et de la veille sanitaire et réglementaire », indique Emmanuel Deparis, directeur du cadre de vie chez Axa et président du club FM de l’Arseg. Atalian Facilities souhaite, par exemple, accompagner ses donneurs d’ordres sur leur questionnement en matière d’immobilier, d’organisation du travail et d’allocation des ressources. « Dans ce sens, nous avons recruté des experts en space management afin qu’ils répondent aux interrogations de nos clients », explique le directeur Benoît Crouzatier. Le FMer a également renforcé son service de conseil en « hospitality et happy management ». De son côté, Vinci Facilities étudie actuellement la mise en place d’une offre de conseil et d’accompagnement sur les nouveaux modes de travail. « Nous souhaitons développer ces offres d’ici la fin de l’année ou le début de l’année prochaine. Nous n’avons pas encore déterminé si cette offre sera proposée par Vinci Facilities ou une nouvelle entité du groupe mais elle sera proposée en priorité à nos clients », explique David Ernest, directeur du développement et de l’innovation.

 

Eric Lefiot, Sypemi

« Nous serons probablement amenés à repenser nos modèles, en intégrant notamment le taux d’occupation des immeubles. La tendance s’oriente davantage vers un caractère forfaitaire assorti d’une part de variabilité »

Laurent Rault, Sodexo Entreprises

« Quelques clients réfléchissent à basculer sur une facturation des services à la carte et que nous flexibilisons davantage les coûts »