Interview

Fabrice Bonnifet : « Les innovations dans la construction se sont accélérées »

Interview de Fabrice Bonnifet du Groupe Bouygues

Pour Fabrice Bonnifet, du groupe Bouygues, il existe des solutions à la fois écologiques et économiques.

 

Propos recueillis par Isabelle Hennebelle

La crise sanitaire donne un coup d’accélérateur à des évolutions sociétales urbaines déjà engagées avant la pandémie, mais également à des innovations dans le domaine de la construction, constate Fabrice Bonnifet, directeur développement durable et qualité, sécurité, environnement du groupe Bouygues. Président du Collège des directeurs du développement durable (C3D), il est également coauteur, avec Céline Puff Ardichvili, de L’Entreprise contributive. Concilier monde des affaires et limites planétaires (Dunod, 272 pages, 18,90 euros).

Comment analysez-vous l’impact de la crise sanitaire sur les constructions et le logement dans l’espace urbain ?

 

La pandémie de Covid-19, comme toutes les crises majeures, a accéléré des mutations qui avaient déjà commencé. Par exemple, le besoin de logements permettant à plusieurs personnes d’y travailler dans la journée sans trop se gêner se fait patent. Cloîtrés dans un univers minéral, les habitants des villes aspirent, plus que jamais, au retour de la nature à proximité de chez eux. De même, alors que les cafés, lieux de convivialité par excellence, ont fermé leurs portes, le besoin de lieux culturels à ciel ouvert, telles des agoras du XXIe siècle, est largement partagé.

Comment mettez-vous en œuvre des schémas d’aménagement qui prennent en compte ces tendances sociétales ?

 

Notre rôle est d’intégrer d’emblée les tendances sociétales dans nos processus d’innovation. Aujourd’hui, nous mettons donc l’accent sur l’amélioration de la modularité pour les logements. A l’instar des camping-cars, on a besoin d’espaces facilement reconfigurables et flexibles, à travers notamment des cloisons amovibles ou des meubles facilement dissimulables, afin de créer des fonctionnalités spécifiques pour le confort d’usage de jour et de nuit. Et nous travaillons aussi sur le concept novateur de bâtiment hybride à économie positive (BHEP).

En quoi ce type de bâtiment répond-il aux problématiques soulevées par la crise sanitaire ?

 

Le BHEP permet, en premier lieu, d’intensifier l’usage d’un bâtiment. Rappelons qu’en temps normal, les bâtiments tertiaires publics et privés ne sont utilisés qu’entre 20 % et 25 % du temps. La crise du Covid, et l’augmentation du télétravail qui en découle, amplifie encore la désertification des bureaux et en révèle leur surdimensionnement. Le BHEP, en partageant mieux les espaces entre plusieurs types d’utilisateurs suivant les différents moments de la journée, permet d’augmenter sa durée d’utilisation globale.

Comment ? En lui attribuant plusieurs vies en même temps. Exemples : restaurant, auditorium, rooftop, salles de réunion, salle de gym… Utilisés en journée par les collaborateurs de l’entreprise, ils peuvent être proposés à la location en soirée à des utilisateurs extérieurs. Le parking, couplé ou pas à un centre de coworking, peut se transformer en un hub d’électromobilité local ouvert aux personnes dans le voisinage.

Cette intensification d’usage pose évidemment des questions de sécurité d’accès, de porosité entre les espaces de l’ouvrage, mais les outils numériques permettent de trouver des solutions efficaces.

En quoi le BHEP s’avère-t-il encore en phase avec les besoins de l’époque ?

 

En prévision des canicules qui seront de plus en plus fréquentes du fait des dérèglements climatiques, il est impératif d’opter pour une conception bioclimatique des bâtiments, afin d’offrir un confort d’été minimum sans recours systématique à la climatisation. C’est le retour du bon sens : positionner correctement les surfaces vitrées, développer une ventilation naturelle ou végétaliser la toiture vont devenir des figures imposées des cahiers des charges.

Autre avantage : le BHEP autoconsomme sa propre énergie produite in situ – ce que nous proposons déjà depuis dix ans avec les Bepos, les bâtiments à énergie positive – mais, et c’est une nouveauté, il va pouvoir également revendre une partie de cette production de flux à ses voisins et ainsi générer des recettes d’exploitation. De plus, à l’instar des briques de Lego, les BHEP sont conçus avec des éléments de construction modulaires dont certains sont biosourcés et qui peuvent donc être réutilisables plusieurs fois. Il faudra encore un peu de temps pour déployer ce type de concept car le secteur du bâtiment demeure très conservateur, mais généralement on ne résiste pas longtemps à une idée dont l’heure est arrivée.

C’est-à-dire ?

 

Comme nous l’expliquons dans notre livre sur l’entreprise contributive, si nous voulons sauver le climat en même temps que l’économie, nous avons besoin de promouvoir des solutions à la fois viables du point de vue économique et écologique. Tout le reste est illusion.

Quels seraient les autres attributs des bâtisseurs de ville « contributifs » ?

 

D’abord, adopter un modèle permacirculaire, c’est-à-dire qui prenne en compte le vivant dans le fonctionnement de ses écosystèmes et dans la conception des solutions de mobilité et d’habitabilité. Par ailleurs, les décideurs doivent arrêter de ne mesurer la valeur d’une entreprise que sur sa seule capacité à préserver son capital financier. Autrement dit, finissons-en avec l’approche cornucopienne qui consiste à considérer que les ressources naturelles étant gratuites, elles sont sans limite, ce qui est totalement faux. illusion.

Il est urgent de mettre en place des outils de comptabilité publique qui permettront de mesurer la préservation du capital naturel tant à l’échelle d’un territoire que d’une entreprise. Arrêtons de nous mentir à nous-mêmes, la sobriété d’usage n’est pas une option. A nous de la rendre désirable, et c’est possible en rendant nos villes silencieuses, vertes, inclusives, productives de leurs propres ressources – résilientes – et véritablement servicielles.

Source : Le Monde