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« Coup de massue », « consternation »… Les gestionnaires de flottes réagissent à la suppression du bonus écologique pour les entreprises

Alors que mardi, l’État a décidé de ne plus subventionner la transition énergétique des flottes en supprimant le bonus écologique accordé aux entreprises lors de l’achat d’un véhicule 100 % électrique, les principaux concernés, à savoir les responsables de parc, voient leur activité totalement chamboulée par cette décision aussi radicale qu’abrupte.

L’onde de choc est palpable. Alors que de nombreux gestionnaires de flottes venaient de finaliser leur car policy pour l’année à venir, le décret d’application du bonus écologique 2024 a été dévoilé le 13 février. Attendu pour dissiper le flou, il contenait une annonce plus qu’explosive : la suppression pure et simple du dispositif d’aide pour les personnes morales, c’est-à-dire les entreprises et administrations. Une « décision soudaine » qui a plongé Michaël Goncalves, directeur de la flotte automobile d’Acorus dans une « profonde consternation ». « Mise en application dès à présent, cette nouvelle est un véritable coup de massue », ajoute-t-il.

Pour cause : « Non seulement nous sommes contraints d’adopter des véhicules électriques, mais nous sommes également privés de toute aide. Pourtant, fin décembre, une liste de véhicules éligibles au maintien du bonus avait été évoquée pour ceux produits en France ou en Europe, entre autres. [La suppression du bonus écologique] contredit donc complètement cette dernière. Et, comme toujours, ce sont les entreprises qui supportent les conséquences, alors même que nous contribuons de manière significative au verdissement de la flotte française et à la dynamique du marché de l’occasion », déplore Michaël Goncalves. Concluant qu’il « s’agit d’une mesure supplémentaire qui nous pénalise dans notre activité professionnelle et qui alourdit considérablement nos coûts de détention de véhicules, indispensables à la pratique de nos métiers. »

 

Un impact indéniable sur l’électrification des flottes

Eric Canillas, directeur du service de gestion de la flotte automobile du groupe Dekra dénonce quant à lui un « coup de poignard ». Il s’interroge également d’entendre qu’à Bercy on affirme que « les prix des véhicules électriques ont pas mal baissé » et que « pour les sociétés, c’est désormais rentable de passer à l’électrique sur l’ensemble du cycle d’utilisation » alors même que « la taxe à l’immatriculation a augmenté sur les thermiques, la taxe sur les émissions de CO2 du parc roulant a augmenté, la taxe sur les émissions de gaz polluants du parc roulant a augmenté, le tarif des BEV dépasse celui des thermiques de 20 à 25 % en moyenne et que le tarif de l’électricité a augmenté », énumère-t-il.

« L’équation n’était déjà pas simple et elle ne va pas s’arranger », note de son côté Jérémy Lucot, gestionnaire de la flotte au sein du conseil départemental de la Côte-d’Or. Il faut dire que, dans les collectivités, « l’enveloppe n’a pas été revue à la hausse et même orientée à la baisse, donc mathématiquement il va y avoir des ajustements significatifs à entreprendre car comment envisager l’électrification sans moyens ? Cela me paraît compliqué », avance l’expert. Qui se veut toutefois optimiste en voyant dans la suppression du bonus « l’occasion de prendre des décisions plus raisonnées et pragmatiques, voire de réduire le nombre de véhicules en parc plutôt que de les renouveler. »

L’accumulation de voyants au rouge pesant lourd, Jérémy Lucot préconise aussi d’agir sur plusieurs leviers, tels que l’éco-conduite pour faire baisser la sinistralité et « entreprendre un dialogue du quotidien avec les collaborateurs pour rationaliser, sensibiliser et mutualiser la mobilité afin de limiter l’hémorragie des coûts. » Michel Goarin, responsable du parc de véhicules de la ville de Quimper, trouve cependant « décevant de constater que cette mesure semble abandonner l’idée de récompenser les collectivités pour leur engagement en faveur de la planète », « cette décision remettant en question l’objectif essentiel d’inciter à accélérer la transition vers des véhicules électriques. »

De plus, « la suppression du bonus risque de compromettre sérieusement la réalisation des objectifs fixés par la loi LOM. » Sans oublier qu’« entre les baisses de budgets d’investissement octroyés pour remplacer les véhicules et la perte de ce bonus, cela aura des conséquences significatives sur le vieillissement des flottes de véhicules, entraînant l’utilisation prolongée de véhicules émettant beaucoup de CO2 et très polluants », rappelle très justement Michel Goarin. Pour lui, il est aussi « crucial de souligner que l’État prend ces décisions sans anticipation ni préavis, ce qui place les collectivités dans une position difficile car les acheteurs dans les collectivités ont besoin de visibilité pour pouvoir planifier efficacement leurs achats. Or, la lourdeur administrative nous oblige à planifier nos achats en avance, et ce bonus n’a cessé d’évoluer. En supprimant ce dispositif sans tenir compte de nos engagements budgétaires préalables, l’État nous met face à des défis supplémentaires. »

L’aubaine pour les constructeurs, surtout chinois ?

Sur le plan des relations entre gestionnaires de flottes et constructeurs – qui enregistre pour la plupart des bénéfices records –, la nouvelle risque également d’inciter les marques automobiles à ne plus faire l’effort de mettre leurs véhicules électriques sous les 47 000 euros nécessaires pour prétendre au bonus écologique pour les entreprises. Des répercussions que soupçonne Jérémy Lucot. Ce dernier n’est en effet « pas persuadé que les constructeurs nous fassent des remises puisque les entreprises les intéressent moins que les particuliers, question d’image et peut-être aussi d’achat ciblant un minimum d’options du côté des flottes. Une stratégie commerciale qui fonctionne super bien, bien que toutes les crises traversées ont aussi servi de bonnes excuses pour gonfler les prix. La situation pourrait alors profiter aux marques moins chères et aux constructeurs chinois. »

Quant à Michel Goarin il juge « légitime de se demander si cette décision ne reflète pas un choix des constructeurs automobiles qui ont récemment privilégié le marché des véhicules pour particuliers au détriment des entreprises et des collectivités en vue de maximiser les marges au détriment du volume de véhicules produits, ce qui peut compromettre les efforts en faveur de la transition écologique. » Il est aussi « nécessaire de réfléchir à la question de la baisse des prix des véhicules électriques qui demeurent élevés et limitent l’accessibilité de cette technologie. Il est donc essentiel que l’État incite les constructeurs à réduire les coûts afin de rendre les véhicules électriques plus abordables pour tous », affirme le créateur de LMRA Technology.

En somme, « la suppression du bonus écologique pour les entreprises soulève des préoccupations légitimes quant à son impact sur la transition vers des flottes plus respectueuses de l’environnement et sur la réalisation des objectifs climatiques fixés par la loi », conclut Michel Goarin. Rejoint par Jérémy Lucot pour qui admet aussi que « l’argent n’est pas inépuisable, nous nous doutions que cela s’arrêterait un jour. Néanmoins, donner aux uns au détriment des autres n’est, par contre, pas la meilleure méthode. »

Source : Auto Infos