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Acheter de l’énergie ? Demain, j’arrête…

Maîtriser sa facture d’énergie, c’est juste savoir bien négocier son contrat. Vraiment ? Un contrat bien conclu mais avec des options mal utilisées ne crée aucune valeur. Pour éviter cet écueil, envisageons l’énergie comme une position à couvrir et non comme un achat.

La maîtrise de la facture d’énergie, une simple histoire de négociation tarifaire ? Un contrat bien conclu à un instant T mais dont les options, mal utilisées, ne permettent pas de faire face aux aléas, ne crée aucune valeur. Voir l’énergie comme une position à couvrir plutôt que comme un achat aide à se protéger de cet écueil. En d’autres termes, ajouter le regard du directeur financier à celui du directeur des achats sur la question énergétique peut être payant.

La crise des prix de 2022, révélateur de l’insatisfaction des entreprises quant à leurs achats d’énergie

Pour les directions financières, le sujet des achats d’énergie s’est imposé brutalement en 2022. Il aura fallu cet épisode de volatilité insensée pour que les dirigeants se préoccupent plus concrètement d’une facture jusqu’ici jugée très secondaire…. Et se rendent compte du fait que beaucoup d’améliorations étaient possibles. Après un an de crise, 9 entreprises de plus de 500 salariés sur 10[1] pointent la nécessité de changements d’organisation. Parmi elles, une sur deux a investi directement ou indirectement dans des compétences spécialisées sur le marché de l’énergie. Mais ce n’est pas pour autant qu’elles savent quoi faire. Très paradoxalement, bien que 7 entreprises sur 10 entreprises aient soif de changement dans leur façon d’acheter, la plupart peinent à définir les actions à entreprendre. De fait, ajuster ses priorités d’achats ne suffira pas toujours. C’est en réalité la façon même d’aborder l’achat d’énergie qui est à repenser. Cela passe en premier lieu par un changement de formulation : l’énergie ne s’achète pas. Elle est, au fond, un aléa économique auquel l’entreprise est exposée, une « position » de marché qu’il convient de couvrir, avec les approches usuelles des directions financières.

L’énergie, une stratégie à imaginer

Hors des organisations les plus consommatrices, l’énergie a longtemps été peu considérée sous un angle stratégique, notamment pour des raisons historiques. Avant la libéralisation du marché, l’offre était exclusivement réglementée, et générait donc peu d’attention. Avec la libéralisation « à la française », marquée de nombreuses interventions de l’Etat sur les prix, la réflexion s’est lentement enrichie, provoquant rarement une réelle motivation à investir dans des compétences et des moyens pour se positionner dans le marché. La mission confiée aux acheteurs d’énergie est souvent restée vague : parvenir, par la négociation d’un contrat, à une « bonne » performance économique, avec les coûts de transaction et de gestion du contrat les plus faibles possibles. Les non-dits de cette formulation enferment les acheteurs dans la quête d’une cible inatteignable car non décrite. Ils empêchent également toute mise à disposition de moyens et de compétences, partant du principe que seule compte la négociation tarifaire, et non l’inscription dans un avenir incertain à bien des égards. Et, de fait, dans certaines entreprises mal avisées, au plus fort de la crise, des acheteurs ont craint de perdre un poste, pour l’accomplissement duquel ils étaient démunis.

Le prix fixe, vecteur d’une sensation de sécurité parfois trompeuse, souvent choisi faute de réelle stratégie

Quand les marchés étaient stables, bénéficier d’un contrat de plusieurs années à prix fixe était logique : le coût d’opération est suffisamment faible pour accepter le risque, limité, de ne pas payer le prix le moins cher. Le prix fixe concentre toute la création de valeur dans la négociation. Il évite de devoir naviguer dans les options du contrat au gré des fluctuations de marché. Néanmoins, dans un marché plus volatil, la sécurité apportée par des prix fixes de longue durée devient toute relative. En haut des préférences des entreprises averses au risque de marché, le prix fixe revient à miser toute la valeur économique du contrat sur un petit nombre de fenêtres de validation des prix. Qu’il en résulte un optimum économique durable est extrêmement improbable.

Dans un monde parfait, les entreprises souhaiteraient des coûts de fourniture d’énergie parfaitement corrélés à leurs business models, par exemple en s’assurant que le prix de leurs achats d’énergie varie aux mêmes échéances que les prix de vente. Il est possible de s’en rapprocher à condition de se doter d’outils de pilotage plus ambitieux de ses achats et d’accepter un peu plus d’aléas dans les prix, qui doivent, en moyenne, parvenir à une meilleure performance économique.

Tous les contrats à prix fixe ne sont pas à mettre au rebut. En revanche, les dosages entre fixation et fluctuation des prix sont à revoir régulièrement. Une vraie stratégie est donc nécessaire, adossée à des compétences et des moyens pour maîtriser et couvrir sa position dans un marché de l’énergie bousculé.

L’approche par « position » : une pratique à emprunter aux directions financières

Cette nouvelle stratégie énergétique consiste à traiter l’énergie comme une position plus que comme un achat, en s’appuyant sur des réflexes déjà très ancrés dans les entreprises sur d’autres « positions » à couvrir. Les entreprises qui exportent couvrent leurs risques de change et il ne leur viendrait pas à l’idée de le faire en une seule fois pour toute l’année. Les constructeurs automobiles se couvrent quant à eux à pas régulier sur les variations des cours des métaux. Ces pratiques sont très courantes. Cependant, la recette pour adopter cette stratégie suppose des transformations dans les organisations.

Premier axe : se doter d’une prévision de la consommation à des échelles de temps cohérentes avec les décisions de planification de l’entreprise. Dans l’industrie, le trimestre est souvent une dimension intéressante. Dans la pratique, les réglementations de l’énergie amènent toujours les consommateurs à réfléchir sur la fenêtre de l’année : son poids est indéniable car c’est celle de l’ARENH1. Il est rare qu’ils se réinterrogent fortement sur des pas de temps plus courts.

Expliciter le mandat confié aux acheteurs est un deuxième levier incontournable. Une stratégie d’utilisation du ou des contrats doit être formalisée, des limites de risques, autorisées et un réflexe de reporting, instauré. Surtout, il faut s’autoriser à ajuster régulièrement cette stratégieet ne jamais se priver d’analyser des pistes alternatives. Une telle approche nécessite des données, des outils et des compétences internes ou externes, même s’il ne s’agit pas de devenir trader.

Il va de soi que cette approche ne sera pas accessible à toutes les organisations : le poids de la facture énergétique sur la valeur ajoutée sera porteur du verdict. Néanmoins, ce poids a augmenté pour de nombreuses entreprises. Un retour à la normale, au sens d’un retour à des prix du même niveau qu’avant la crise, est illusoire. Nombreuses sont donc les entreprises qui gagneraient à tester, en y mettant des moyens, l’adoption d’une stratégie énergétique inspirée des pratiques de leurs directions financières.

Source : DAF mag